Aller au contenu

| | |

Vous êtes ici : PRINTEMPSFRRechercheThèses et HDRHDR soutenues

Des femmes sans domicile invisibles ? Repenser le sans-domicilisme au prisme du genre par Marie LOISON-LERUSTE

Discipline : Sociologie
Laboratoire : Professions, Institutions, Temporalités - PRINTEMPS

Date de la soutenance : le 29 novembre 2023
 

Mots clés : Sans-domicilisme, sans-abrisme, genre, violences, (in)visibilité, intervention sociale, pauvreté, exclusion, mal-logement, politiques publiques


Résumé

Le mémoire interroge tout d’abord l’apparente « nouveauté » du problème public des femmes sans domicile. Pendant longtemps, les pauvres sont perçu·es sous une forme générique, le masculin faisant, comme dans le langage, office d’universel. Les représentations sociales, la littérature académique portant sur les personnes sans domicile ou sur le genre, tout comme les dispositifs d’aide qui se développent dès les années 1950 et se complexifient à la fin des années 1980 prennent peu en compte les femmes. Restant dans l’ombre, elles font uniquement l’objet d’une intervention sociale genrée, au titre de la maternité, de la santé mentale ou de la prostitution. Le premier objectif du mémoire est donc de rendre compte de l’invisibilisation des femmes sans domicile dans l’histoire de la pauvreté et d’en comprendre les raisons.

À partir du milieu des années 2010, le sans-domicilisme féminin comme fait social, devient un problème public et un enjeu politique. Les femmes sans abri sont mises à l’agenda et de « nouveaux » dispositifs d’accompagnement dédiés sont créés. Le mémoire soutient que cette cette nouveauté n’est qu’apparente et que la récente mise en visibilité n’est pas synonyme d’une meilleure compréhension de leurs besoins. Au contraire, l’absence de prise en considération du genre dans l’analyse du sans-domicilisme réitère l’androcentrisme du regard porté sur ces femmes, sur leurs difficultés et sur le mode d’accompagnement proposé qui entretient l’illusion d’une prise en charge adaptée.

Le mémoire cherche ainsi à mieux rendre compte de la spécificité du sans-domicilisme féminin et de sa prise en charge institutionnelle. Les trajectoires de désaffiliation des femmes sont marquées par l’importance des violences de genre qui sont souvent à l’origine de la perte du logement, d’une expérience particulière de la rue et d’un recours plus important au soutien informel et à l’hébergement chez des tiers. Alors que le genre permet d’expliquer les vulnérabilités spécifiques des femmes, il leur confère également des formes de protection (très) relatives qui les visibilisent ou les invisibilisent tour à tour. Plus généralement, les femmes, triplement disqualifiées, du point de vue du genre, de la race et de la classe, bénéficient souvent d’un accompagnement médico-social qui ignore ces rapports de domination, pourtant structurants dans leurs trajectoires de vie. À la dilatation du temps et à la rétractation des espaces, s’ajoute une oppression genrée des liens. Car s’il est absent dans les discours, le genre se « fabrique » au quotidien (West et Zimmerman, 1987a) dans les pratiques d’intervention sociale auprès de ces femmes et reproduit des formes d’oppression au sein même dans des institutions pourtant censées les protéger.

Finalement, les spécificités des trajectoires et des expériences des femmes sans domicile viennent remettre en question les travaux existants jusqu’ici. Leurs trajectoires de vie, notamment migratoires et leur rapport spécifique au sans-domicilisme, structurés par les violences de genre qu’elles subissent, interrogent la manière dont sont construites les catégories politiques et statistiques qui fondent aujourd’hui la prise en charge et la reconnaissance du sans-domicilisme. Dans cette tension entre visibilité et invisibilité et en s’inscrivant dans la continuité des travaux sociologique sur la pauvreté et les exclusions, les expériences des femmes sans domicile invitent à repenser les catégories d’analyse du sans-domicilisme.

Membres du jury

Florence Maillochon, Directrice de recherche, Centre Maurice Halbwachs CNRS

Guillaume Le Blanc, Professeur, Université Paris Cité

Michel Lallement, Professeur, Conservatoire national des arts et métiers

Natacha Chetcutti, Maitresse de conférences HDR, ENS Paris Saclay

Sandrine Nicourd, Professeure des universités, Université de Reims Champagne Ardenne

Serge Paugam, Directeur de recherche, Centre Maurice Halbwachs CNRS